Voyage à Kyïv (mai-juin 2023)

icoste
8 min readSep 2, 2024

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La pochette de notre fiction sonore, qui illustre notre voyage à l'audio, réalisée par Mykhbet.

Ce voyage a été adapté dans la fiction sonore "Demain, Si On Passe La Nuit…"

Jour 1

À force d’anticiper, on dort peu la nuit avant le départ… Mais on se lève quand même à 4h30 du matin pour aller prendre notre avion. On arrive à Cracovie, où on passe quelques heures. En cherchant à manger, on tombe devant un bar à jeux qui s’appelle “R’lyeh”, ça nous fait rire (j’ai mon T-shirt “L’appel de Cthulhu” dans la valise).

Un jeune “soutien de l’Ukraine” nous aborde dans le parc. Étrangement, il est tout de suite venu vers nous, et on était les seuls à se balader nonchalamment avec une valise… C’est un peu douteux. Il nous invite fortement (en mode “pied dans la porte”) à donner pour l’effort de guerre ukrainien via son “association”, représentée par une image volée sur internet… Il sort même un terminal pour carte bancaire quand on lui dit qu’on n’a pas de monnaie. Il nous insulte quand on lui dit qu’on donne déjà, et qu’on ne donne qu’à des associations qu’on connaît. Les escrocs sont partout…

Le soir, on prend le bus pour Lublin. On est fatigués, et le chauffeur met systématiquement le son à fond toutes les 45 minutes quand c’est les infos… Nous qui partions de Cannes, on se mange du “Festival de Cannes” et du “Quentin Tarantino” en permanence au fin-fond de la campagne polonaise, c’est assez drôle. On rencontre une jeune étudiante ukrainienne et on passe un peu de temps avec elle : elle fait le même voyage que nous. Elle est sympa, elle discute biologie avec ma compagne.

À Lublin vers minuit, on change de bus et on part pour Kyïv. À 15 km de la frontière, le bus commence à zigzaguer entre les camions qui stationnent devant la frontière. Il y en a des centaines : des camions de marchandises, des camion-citerne, du matériel militaire (je suppose, je ne vois pas bien dans le noir total, juste avec les phares du bus), etc. Je trouve ça assez stressant.

Jour 2

On fait une pause vers 10h du matin, pour que chacun puisse aller aux toilettes, prendre un café et un petit dèj rapide. Le croissant au poulet et aux cornichons, je ne connaissais pas, c’est surprenant le matin…

On arrive vers 13h30 à Kyïv. Des jeunes nous offrent un bracelet jaune et bleu, on leur donne quelques hryvnias (la monnaie ukrainienne) que ma compagne gardait sur elle depuis des années.

On se dirige vers notre appartement, on pose nos affaires et on va faire un tour en ville avec des amis. On installe et on configure nos applications d’alerte en cas de bombardement.

J’ai dormi dans une mauvaise position dans le bus, j’ai très mal au dos… Je prends un ibuprofène.

La ville est presque parfaitement en bon état, les gens semblent heureux et vivre leur vie de tous les jours. Il y a bien quelques travaux, mais pas plus qu’à Cannes, par exemple… La guerre dure depuis un an, mais ça ne se voit pas. La vie continue son cours. On échange nos euros contre des hryvnias.

D’ailleurs, c’est la fête à Kyïv, on se promène dans un marché où des vendeurs proposent plein de petites choses sympa et traditionnelles. On prend des photos des églises devant lesquelles on passe. Beaucoup de passants se promènent avec des vyshyvankas.

On fait quelques courses, on mange, puis on se couche vers minuit. On repère l’abri le plus proche : c’est un parking souterrain qui est à 50 mètres de notre appartement.

Vers 2h du matin, on est réveillés par les alertes. On fonce vers l’abri en prenant le sac de couchage de l’appartement avec nous.

On rencontre des gens sympas dans l’abri. Personne ne discute, certains dorment, la plupart suivent les infos sur diverses sources d’info. On sympathise avec un groupe de 4~5 personnes avec un gros chien qui ronfle. On entend les explosions au loin. C’est assez impressionnant : chaque explosion est comme un coup de tonnerre lointain, mais genre beaucoup plus puissant. Vers 5h du matin, l’alerte s’arrête et on va se recoucher.

Jour 3

Vers 7h du matin, nouvelle alerte, on retourne à l’abri se protéger. On retrouve les mêmes personnes. Une petite fille de 6 ans s’amuse à chanter la chanson anglaise de l’alphabet, mais c’est mignon : elle mélange les lettres latines prononcées à l’anglaise avec des lettres cyrilliques. Un peu avant la fin de l’alerte, elle chante aussi “chervona kalyna”, une vieille chanson patriotique ukrainienne et tout le monde sourit gentiment. Ma compagne me dit que je pourrais la chanter avec la petite pour rigoler, vu que je l’ai apprise avant le voyage. J’ai toujours mal au dos, à force de rester assis sur un sac de couchage à même le pavé du parking… Je prends un deuxième ibuprofène.

Vers 10h, après l’alerte, on prend un petit dèj à côté et on retourne finir notre nuit. On n’entend pas la troisième alerte vers 11h, et on se réveille vers 13h, complètement épuisés.

Vers 16h, alors qu’on se promène avec une amie au bord du Dnipro dans un beau jardin, une quatrième alerte retentit. On se réfugie dans un café, et on reste loin des vitres. C’était une fausse alerte : un avion russe faisait de la reconnaissance sans avoir tiré de missiles. On retourne s’allonger un peu, je commence à avoir une petite angine (sans doute le manque de sommeil couplé à l’ibuprofène).

Vers 2h du matin, encore une alerte. Encore une fois, retour au parking. C’est un détail, mais je remarque que les gens qui sont près de nous avec leur chien lui donnent systématiquement un genre de friandise à croquer pour le rassurer. Encore des explosions plus ou moins lointaines. On retourne se coucher vers 4h du matin. À chaque fois qu’on sort de ce parking, c’est au moment où la nuit se termine et où le ciel se colore un peu ; le soleil se lève tôt à Kyïv, en ce moment.

Jour 4

On se lève vers 11h, on est toujours aussi fatigués. On retourne se promener avec des amis dans un parc. C’est un peu compliqué, car je ne parle pas ukrainien, et une des personnes ne parle pas anglais, du coup on fait du ping-pong avec ceux qui acceptent de nous traduire l’un l’autre. On visite une serre, dans laquelle des gens font des cosplays avec des personnages de Mavka (un film d’animation ukrainien, qui s’appelle “Le Royaume de Naya” en français).

On discute beaucoup. L’un de nos amis a un anglais parfait, et je discute beaucoup avec lui de plein de choses : il a beaucoup voyagé et me raconte un peu sa vie. On rentre tard, mais on attrape le dernier métro quand même (les métros arrêtent de fonctionner après 22h30, à cause du couvre-feu).

Il semble que les russes sont calmes : pas de mouvements d’avions. Pour la première fois, on passe une nuit complète.

Jour 5

On se lève vers 9h et on prend un petit dèj (la serveuse me connaît maintenant, et elle me propose directement le plat que j’ai déjà pris plusieurs fois). Avec une amie, on fait quelques courses et on trouve une vyshyvanka traditionnelle à ma taille. Je suis très honoré de porter cette magnifique chemise.

Notre amie nous fait quelques cadeaux, dont un paquet de sel. Elle nous explique que ce sel vient de la ville de Bakhmut (aujourd’hui, cette ville est un champ de ruines, bien que les ukrainiens aient résisté à l’armée russe pendant plus de 15 mois). Ce cadeau est vraiment fort de signification.

Pendant quelques longues minutes, cette amie (qui parle un très bon anglais), nous raconte ce qu’elle a vu et entendu du haut de la colline de Kyïv, quand les russes étaient près de la capitale. Par exemple : “Ils tiraient des salves d’obus sur les bâtiments un peu au hasard. On entendait un grondement sourd en continu”. Rien qu’à l’idée, j’ai frissonné. On fait une visite historique des vieilles places de Kyïv. Ça fait 5 jours que je marche entre 8 et 12 km par jour, ma compagne me félicite… Malgré le fait que je la supplie de prendre un taxi à cause de mes pieds qui me font un mal de chien.

Vers 2h du matin, nouvelle attaque aérienne. Cette fois-ci, ce sont des missiles balistiques et ils arrivent beaucoup plus vite que les drones. Sur le chemin vers le parking, je vois quelques roquettes de la défense de Kyiv passer au-dessus de nos têtes et on entend un énorme coup de tonnerre : un missile russe a été abattu pas loin de nous, alors qu’on était encore dans la rue. On court jusqu’à l’abri.

Je commence à chercher des serveurs Discord où des gens discutent la nuit, pour pouvoir entendre des voix dans le parking. Ça me détend.

À la fin de l’alerte au matin, on apprend qu’il y a eu des morts : un abri était resté fermé, et le temps qu’ils trouvent un autre abri ouvert, des civils ont été tués par la chute de débris. Des enfants sont aussi morts dans leur lit : visiblement la défense aérienne n’a pas pu arrêter un missile ou un drone, qui s’est écrasé sur une habitation.

Jour 6

On retrouve des amis qui nous emmènent voir un autre ami dans la campagne qui tient une espèce de refuge/maison de retraite pour des ours. En URSS, les ours étaient souvent maltraités dans des cirques ou utilisés comme des attractions, et ils étaient parfois élevés en captivité ; le but de ce refuge est de leur réapprendre à vivre à peu près normalement, à manger de manière autonome… ou sinon leur permettre une fin de vie digne et calme. Je suis très touché par le but de ce refuge, qui “montre à la fois le pire et le meilleur chez l’humain” d’après celui qui s’occupe des ours.

Je passe encore une soirée à discuter et écouter des lives pour me détendre. Nouvelle alerte à 2h30 du matin, nous nous rendons encore dans le parking que nous connaissons si bien maintenant. En parcourant Twitter, je constate qu’il y a des trolls qui se moquent des ukrainiens quand ils se font bombarder. J’en signale quelques-uns pour passer le temps.

Jour 7

Jour de repos, pour mes pieds. En déjeunant dans un restaurant, ma compagne tombe une communauté de jeunes qui font du roller à Kyïv. Elle fait le lien avec sa propre communauté, les filles sont ravies de discuter avec une ukrainienne qui fait du roller à Cannes !

Nous appelons mon beau-frère pour fêter son anniversaire. Ça me fait plaisir de le voir, même à distance !

Une nuit calme… ça change.

Jour 8

Nous allons en centre-ville retrouver des amis. Après une nouvelle soirée à discuter, nous entrons de peu dans le dernier métro et nous rentrons à l’appartement.

À une heure du matin, nous suivons toujours les informations, car il est question de mouvements d’avions et de navires russes.

C’est notre dernière nuit à Kyïv… C’est encore une nuit de bombardement. Nous sommes habitués, on se rend au parking assez vite, on retrouve toujours les mêmes gens. Chacun a son emplacement préféré. Ça explose au loin, mais nous restons confiants dans la défense aérienne de Kyïv.

Jour 9

Au matin, nos co-abrités avec le chien nous disent au revoir, en ajoutant “On espère qu’on n’aura pas à se croiser la nuit prochaine”. Dans le contexte, ça a du sens, en effet.

On retrouve une amie qui nous présente son travail bénévole : préparer des gilets de camouflage pour les snipers. Elle nous montre les étapes de fabrications, les dames qui travaillent là sont très heureuses de nous montrer leur travail. On participe un peu : un petit nœud par ici, un autre par là… Nous écrivons des petits mots d’encouragement pour les soldats qui recevront les prochaines tenues de camouflage, et j’enfile moi-même une tenue de camouflage (il fallait que quelqu’un de grand doive la tester).

Nous préparons nos affaires, nous rangeons l’appartement, et nous nous dirigeons vers la gare.

Au revoir, Kyïv. À la prochaine :)

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Written by icoste

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